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Un petit guide des nouvelles mobilités en Asie du Sud-Est

Temps de lecture 7 min.
Posté le 29.11.19
International Mobility Insights
A short guide to new mobilities in Southeast Asia

Installée à Singapour depuis 2017, il était important pour Via iD de partager sa connaissance des écosystèmes d’innovation et de mobilité d’Asie du Sud-Est avec ses entreprises partenaires européennes !  Nous avons fait venir le Mobility Club à Singapour en novembre pour une série de rencontres avec notre réseau local : voici ce qu’il faut savoir sur les nouvelles mobilités dans la ville intelligente leader mondial !

#1 La guerre des super applications fait rage en Asie du Sud-Est

Il est difficile de comprendre le nouveau marché de la mobilité en Asie du Sud-Est sans se frotter à la concurrence entre Gojek et Grab. Ces deux startups de la mobilité ont un objectif simple : devenir le guichet unique pour les besoins quotidiens des utilisateurs.

Ce modèle dit de « Super App », historiquement lancé en Chine avec Wechat et Alipay, repose essentiellement sur une solution de paiement numérisée et une base de clientèle étendue. La spécificité de Gojek et de Grab : ils ont réuni ces conditions essentielles en construisant leurs modèles autour de la mobilité.

Le premier s’est implanté en Indonésie en 2010, et a réussi à numériser les ojeks, chauffeurs de moto-taxis indispensables pour éviter les énormes embouteillages qui caractérisent la région. Grab, quant à lui, a été lancé en 2012 en Malaisie (avant de déménager son QG à Singapour en 2014) en tant qu’agrégateur de taxis. Les deux startups proposent aujourd’hui des offres de mobilité similaires (taxis, ride-hailing, deux-roues…) ainsi que divers autres services qui sont justement la spécificité d’une Super App. Une différence toutefois : Grab se concentre sur des partenariats stratégiques (avec Booking, Toyota et Mastercard) ainsi que sur une expansion géographique agressive, tandis que Gojek se renforce en accumulant de plus en plus de services (21 à ce jour !) et en acquérant des briques technologiques et de services supplémentaires.

Voici quelques chiffres pour comprendre l’ampleur du phénomène à ce jour : Grab revendique 2,8 millions de chauffeurs et 140 millions de téléchargements d’applis dans les 8 pays d’Asie du Sud-Est où il est présent. Gojek, qui n’a décollé qu’après le lancement de son application en 2015, a amassé 1 million de chauffeurs et 110 millions de téléchargements d’applications dans 6 pays. Plus impressionnants encore sont les montants levés par ces deux géants pour lesquels les investisseurs internationaux se disputent. Gojek est désormais valorisé à 10 milliards de dollars, avec des investisseurs tels que Google, Tencent (le mastodonte chinois derrière WeChat), Temasek ou Via iD. Grab a maintenant levé 14 milliards de dollars auprès de Softbank, Alibaba (la société mère d’Alipay), Didi, Honda et Toyota. À noter la part importante d’Uber dans Grab (27,5 % en mars 2018) liée à la vente des activités de covoiturage et de livraison de nourriture en Asie du Sud-Est. Une indication claire de la difficulté pour les géants américains du numérique de se développer en Asie (voir également la vente des activités d’Uber en Chine à Didi en 2016).

Le succès de Gojek et de Grab doit être soigneusement analysé par les nouveaux acteurs de la mobilité intéressés par la plateformisation de la mobilité et le MaaS. Leur capacité à construire des écosystèmes complexes de partenaires et de prestataires de services, leur approche fortement centrée sur l’utilisateur et, au final, la forte rétention des utilisateurs sont une source d’inspiration. Il n’est pas surprenant qu’Uber ait annoncé en septembre 2019 vouloir se réinventer comme le « système d’exploitation de votre vie quotidienne ».

Pour en savoir plus sur la concurrence entre Gojek et Grab, nous vous recommandons de consulter la comparaison détaillée de KrASIA sur les différents services proposés par ces 2 géants, ainsi qu’un focus sur la concurrence entre leurs fondateurs qui étaient autrefois amis à Harvard par Fortune. L’étude de Fabernovel sur WeChat, la première Super App, mérite également d’être lue!https://www.youtube.com/embed/Tn4MGnTkF8c?feature=oembed

#2 Singapour : le lieu de rencontre des entrepreneurs et des investisseurs d’Asie du Sud-Est

Plaque tournante du commerce mondial depuis le début du XXe siècle, Singapour n’a cessé de se réinventer depuis son indépendance : hub énergétique régional (encore aujourd’hui), plateforme industrielle orientée vers les technologies avancées dans les années 1970 et 1980, centre financier majeur depuis les années 1990, Singapour ambitionne aujourd’hui de devenir l’une des capitales mondiales de l’innovation.

Au-delà de sa politique fiscale accommodante et de son cadre réglementaire stable et favorable aux entreprises, la ville-État s’appuie principalement sur des agences gouvernementales solides. Il s’agit notamment de l’Economic Development Board Enterprise et de l’Enterprise SG, qui sont coordonnés autour de plans stratégiques pluriannuels témoignant d’une vision à long terme. On note également l’émergence en quelques décennies d’un écosystème d’enseignement supérieur et de recherche de classe mondiale autour d’acteurs locaux et internationaux (National University of Singapore, INSEAD, Singapore-MIT Alliance for Research and Technology…). Cette politique s’appuie bien sûr sur l’incroyable puissance financière de l’Etat singapourien, illustrée par son fonds souverain Temasek, et sur un grand nombre de soutiens financiers (subventions, aides, allègements fiscaux, etc.) pour les innovateurs. Des mécanismes d’investissements jumelés accompagnent également les fonds de capital-risque qui soutiennent les start-ups basées à Singapour.

En conséquence, un solide écosystème d’innovation a vu le jour à Singapour au cours de la dernière décennie, notamment autour du commerce électronique, de la logistique et du paiement électronique. La cité-État n’égale pas encore la Silicon Valley, notamment en termes d’innovation disruptive et de deep tech, mais se positionne comme une place de marché où se rencontrent startups régionales et investisseurs internationaux. À moins de 4 heures de vol se concentrent 636 millions d’habitants, dont une classe moyenne de 300 millions de personnes aux mœurs extrêmement numériques (50 millions de plus d’ici 2022). L’Inde, la Chine et leurs 2,7 milliards d’habitants sont également accessibles en 6 heures maximum. Cette dernière, où émergent des technologies de rupture de classe mondiale (VE, véhicules autonomes, IA, etc.), reste très difficile à atteindre de l’extérieur, même depuis Hong Kong. Ceux qui souhaitent sourcer des solutions innovantes suffisamment tôt en Chine doivent être accompagnés par des acteurs disposant d’un puissant réseau local d’investisseurs et d’entreprises partenaires. Il convient de mentionner Idinvest (dont le portefeuille comprend les startups chinoises WeRide -véhicules autonomes-, Forsee Power -fabricant de batteries- et DST -louage de camions électriques-) et Cathay (voir la startup Momenta -cerveaux de conduite autonome-).

C’est pourquoi de nombreuses entreprises internationales ont créé des laboratoires d’innovation à Singapour afin de se développer dans la région. Parmi les acteurs impliqués dans le secteur de la mobilité, on trouve notamment le Lufthansa Innovation Hub et l’Engie Factory. C’est également pour cette raison que Via ID y a établi un bureau en 2017. Un bon exemple de l’objectif de veille régionale de notre bureau : les 6 lauréats de notre Asia Mobility Startup Challenge étaient originaires de Singapour, d’Inde, des Philippines, d’Australie et d’Inde.

#3 Singapour : une ville intelligente qui révolutionne la mobilité

En tant que petit pays (seulement 7 fois plus grand que Paris intra-muros) et densément peuplé, Singapour a très vite développé une approche unique et innovante du transport et de la mobilité. La ville se caractérise par une infrastructure de transport public très développée et efficace, héritage de décennies d’investissements publics lourds et planifiés, ainsi que de réglementations parfois coercitives. En témoignent les  » certificats d’habilitation « , permis nécessaires pour posséder un véhicule personnel, dont le nombre est limité et dont le coût varie entre 30 000 et 40 000 SG$ en 2019.

A ce titre, l’utilisation des transports publics (métro, bus, trains…) et partagés (taxis, covoiturage…) est très élevée : ils représentent environ 65% des déplacements effectués, contre 32% pour les véhicules individuels et 2% pour les mobilités douces.

Le bras armé du gouvernement singapourien est la Land Transportation Authority (LTA), qui réglemente et planifie le secteur des transports et les infrastructures associées. Son champ d’action couvre également les nouvelles mobilités, comme en témoigne l’interdiction des scooters électriques sur les trottoirs à la fin de 2019. La majorité des transports publics et des taxis sont exploités par SMRT (filiale de Temasek) et ComfortDelGro, également investisseurs actifs en capital-risque. Momentum, le CVC de SMRT, a notamment investi avec Toyota dans la startup MaaS MobilityX, ainsi que dans la startup de technologie de bus à la demande SWAT avec ComfortDelGro Ventures.

Comme nous l’avons déjà souligné, les politiques publiques de Singapour se caractérisent par l’élaboration de plans stratégiques à long terme. Le programme Smart Mobility 2030, coordonné par la LTA, a pour objectif de  » tendre vers une communauté de transport terrestre plus connectée et interactive « . C’est dans ce contexte que BlueSG, filiale du Groupe Bolloré, déploie depuis 2017 un système d’autopartage de voitures électriques qui comptera 1000 véhicules et 2000 points de charge d’ici 2020.

Autre initiative symbolique, l’ambition d’être le premier pays à adopter les véhicules autonomes à grande échelle, structurée autour de la Singapore Autonomous Vehicle Initiative (SAVI). Des tests sont menés depuis 2016 par la startup bostonienne NuTonomy (rachetée pour 400M$ par l’équipementier Delphi), et seront progressivement étendus à tout l’ouest de l’île (plus de 1000 km de routes). Le gouvernement a également lancé le Centre d’excellence pour le test et la recherche des AV (CETRAN), l’une des plus grandes initiatives de recherche public-privé sur la mobilité autonome. Enfin, SG Innovate, le fonds gouvernemental de capital-risque pour les technologies de pointe, a déjà investi dans cinq start-ups de mobilité autonome. Tous ces efforts donnent des résultats positifs : Singapour est le premier pays asiatique et le deuxième au monde dans l’indice de préparation aux véhicules autonomes de KPMG.

Singapour doit être observée telle qu’elle est : un véritable laboratoire de la nouvelle mobilité, qui valide la pertinence des nouveaux modèles et des nouvelles technologies.  D’autre part, il ne s’agit pas d’un simple modèle. En effet, l’environnement très particulier et unique de la cité-État (taille, densité de population, niveau de développement, qualité des infrastructures et surtout forte réglementation centralisée) fait que les solutions validées localement ne sont pas forcément reproductibles dans d’autres géographies.

Cet aperçu vous donne envie d’en savoir plus sur les tendances et les acteurs clés de la nouvelle mobilité en Asie du Sud-Est ? N’hésitez pas à nous contacter !